Obligation d’accommodement : application par le TAT de l’arrêt Caron de la Cour suprême du Canada

La Cour suprême du Canada, en février 2018, a rendu un jugement qui comporte d’importantes répercussions sur la gestion de la santé et sécurité au travail au Québec, plus particulièrement en matière de réadaptation. En application de cet arrêt, le Tribunal administratif du travail (TAT), le 6 novembre dernier, a rendu l’un de ses premiers jugements sur la question. Employeurs, soyez prêts!

Rappelons que la Cour suprême a conclu que la procédure de réadaptation prévue à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (LATMP) ne respecte pas le droit d’un travailleur handicapé d’être accommodé d’un autre emploi par son employeur lorsqu’il devient incapable d’exercer son emploi régulier en raison de limitations fonctionnelles permanentes. Il faut aller plus loin que ce qu’offre déjà la LATMP en réadaptation pour respecter les droits fondamentaux d’un travailleur; il faut trouver un accommodement, mais sans toutefois que la situation retenue ne constitue une contrainte excessive pour l’employeur. Or, le 6 novembre 2018, le Tribunal administratif du travail (TAT) a conclu que l’employeur, la Ville de Montréal, a violé le droit à l’accommodement d’un employé col bleu et il a retourné le dossier à la CNESST afin qu’elle recommence le processus de réadaptation pour identifier un emploi convenable en collaboration avec l’employeur, le travailleur et le syndicat.

Les faits à l’origine de cette affaire sont simples :

• Les lésions professionnelles aux coudes ont entraîné pour le travailleur des limitations fonctionnelles permanentes et une atteinte permanente
• La CNESST devait admettre le travailleur en réadaptation et identifier un emploi convenable vu son incapacité à reprendre l’emploi prélésionnel de préposé aux travaux généraux et de jardinier
• Tous étaient d’accord, à titre d’accommodement, pour étudier la capacité à exécuter le poste de préposé à l’entretien sports et loisirs
• Un ergonome mandaté par la CNESST a conclu que le travailleur avait la capacité d’occuper le poste mais qu’il faudrait des adaptations, notamment soustraire quelques tâches
• L’employeur a refusé d’accommoder le travailleur du poste aux sports et loisirs car il doutait des recommandations de l’ergonome et voulait mandater son propre ergonome pour refaire l’étude du poste
• Sans attendre cette nouvelle étude, la CNESST décide en septembre 2015 que le travailleur est capable d’exercer un autre emploi convenable, soit celui de préposé à l’entretien/nettoyeur d’édifices à bureaux (classe B) ailleurs que chez l’employeur, ce que conteste le travailleur
• La Direction de la révision administrative (DRA) de la CNESST a confirmé en octobre 2015 cette décision, ce que le travailleur a contesté devant le TAT
• L’ergonome de l’employeur a conclu en février 2016 à l’incapacité du travailleur à occuper le poste de préposé à l’entretien sports et loisirs

Le jugement

Le TAT rappelle d’abord que la charte québécoise ne prévoit pas expressément un droit d’accommodement qui découle plutôt de l’interprétation du droit à l’égalité développée par la jurisprudence. Il note ensuite que l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Caron a changé l’état du droit concernant l’obligation d’accommodement d’un employeur dans le contexte d’une lésion professionnelle. Le TAT rejette l’argument de l’employeur qui demande au tribunal d’évaluer sa démarche en considérant que c’était avant que l’arrêt Caron soit rendu. La législation est demeurée la même et le tribunal doit rendre sa décision suivant le droit applicable au moment où il rend sa décision et en respect de la règle du stare decisis. Le TAT retient par ailleurs que l’employeur a admis que le travailleur était handicapé, que la convention collective permettait d’octroyer le poste aux sports et loisirs, et qu’il n’existe aucun délai à la convention collective pour le droit de retour au travail. Il fait ensuite un examen individualisé de la situation du travailleur pour déterminer si l’employeur a démontré une contrainte excessive. Il note que l’employeur est un organisme public de grande taille, qui a déjà procédé à des accommodements, et qui était d’accord pour étudier la capacité à occuper l’emploi de préposé à l’entretien sports et loisirs à titre d’accommodement. Dans ce contexte, bien qu’il retienne le témoignage de l’ergonome de l’employeur à l’effet que le travailleur était incapable d’occuper le poste aux sports et loisirs, le TAT conclut que malgré sa bonne foi, l’employeur n’a pas fourni les efforts nécessaires pour satisfaire son obligation d’accommodement jusqu’à la limite de la contrainte excessive. Il s’est limité à déterminer si le poste de préposé à l’entretien sports et loisirs constituait un emploi convenable suivant les critères édictés par la LATMP. Il n’a pas fait de démarches sérieuses d’accommodement. Le TAT rappelle que la Cour suprême du Canada enseigne que l’employeur doit faire preuve de souplesse en matière d’accommodement. En l’espèce, il a plutôt mandaté son propre ergonome et a décidé de procéder seul, sans impliquer les autres parties. Il a ensuite mis un terme à ses démarches d’accommodement après avoir pris connaissance de l’avis de son ergonome. Le TAT estime que l’employeur n’a pas fait preuve d’une grande ouverture dans sa recherche d’accommodement et qu’il est demeuré campé sur ses positions. Il n’a pas démontré qu’il a envisagé des solutions et qu’elles devaient être exclues car elles constituaient une contrainte excessive. C’était son fardeau de le démontrer, l’obligation d’accommodement lui revenant en premier lieu. Le TAT rejette l’argument de l’employeur qui prétend que c’est la CNESST qui a mis un terme à la démarche en rendant sa décision d’emploi convenable à être exercé ailleurs sur le marché du travail. La CNESST a joué son rôle, tout comme le syndicat, jusqu’à ce que l’employeur décide de poursuivre seul les démarches, écartant l’intervention des autres parties. En respect de son approche concentrique, la CNESST devait rendre sa décision en réadaptation car l’employeur ne semblait pas ouvert à d’autres possibilités. Pourtant, la preuve révèle que différentes possibilités d’accommodement pouvaient être raisonnablement explorées. L’employeur n’a pas démontré que les limites imposées par la convention collective constituaient une contrainte excessive. Du reste, le TAT retient que ce n’est pas parce qu’une possibilité n’a jamais été mise en place que cela démontre une contrainte excessive. Chaque cas doit être analysé selon ses particularités. Le TAT accueille donc la requête du travailleur en déclarant prématurée la décision de la CNESST sur l’emploi convenable et lui retourne le dossier afin qu’elle reprenne le processus de détermination d’un emploi convenable chez l’employeur, en collaboration avec ce dernier, le travailleur et son syndicat.

Vous pouvez lire le jugement complet ici.

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