Lettre d’opinion du président-directeur général du Conseil du patronat du Québec, Yves-Thomas Dorval.
La Presse+, p. web – 19 août 2016
La Tribune (Sherbrooke), p. 14 / Le Quotidien (Chicoutimi), p. 12 – 22 août 2016
Les Versants (Saint-Bruno), p. 10 – 24 août 2016
La Frontière (Rouyn-Noranda), p. 6 – 28 août 2016
Au cours des derniers jours, plusieurs voix se sont élevées pour recommander une hausse du salaire minimum à 15 $ l’heure, un seuil psychologique symbolisant, pour ses partisans, une question de dignité.
Pour d’autres, ce seuil représente aussi un chiffre arbitraire, brandi avec un peu trop de légèreté, qui pourrait avoir des conséquences néfastes pour l’économie du Québec s’il était appliqué du jour au lendemain.
Il est malheureusement facile de s’embarquer dans un débat idéologique sur la question, mais la vérité, c’est que beaucoup de facteurs devraient entrer en ligne de compte avant de se forger une opinion trop arrêtée.
Comprenons-nous bien : il n’est pas question ici de surestimer ou de sous-estimer les impacts d’une telle augmentation, mais on doit admettre que 15 $ l’heure a un poids bien différent que l’on vive à Montréal, Vancouver, New York ou Roberval, par exemple, où le coût de la vie diffère grandement – et les programmes sociaux gouvernementaux aussi.
Rappelons tout d’abord qu’il est de la responsabilité de l’État d’assurer le filet social nécessaire pour permettre aux gens de mener une vie décente par l’entremise de la redistribution de la richesse créée.
C’est d’ailleurs la principale vocation de notre système fiscal, ici, au Québec, où les citoyens profitent de programmes publics parmi les plus généreux en Amérique du Nord.
Il faut savoir que les employeurs du Québec en paient une grande partie et dépensent beaucoup plus en masse salariale que le revenu brut que perçoit un employé : pensons aux avantages sociaux (régimes d’assurance médicaments, etc.), aux cotisations au Fonds de santé et de sécurité du travail, au Régime québécois d’assurance parentale, à la Régie des rentes du Québec, au régime d’assurance emploi, au Fonds de santé du Québec, etc. C’est ainsi que les employeurs paient annuellement au Québec environ 30 % de plus en taxes sur la masse salariale qu’en Ontario et 45 % de plus que la moyenne canadienne.
Un autre facteur à prendre en considération, qu’il s’agisse du secteur privé ou du secteur public : un employeur doit tenir compte des échelles salariales internes, qui varient selon l’expérience, le niveau académique, les responsabilités, etc. Devrait-il être contraint à augmenter l’ensemble de ses salaires pour les ajuster au minimum de 15 $ ?
Il ne faudrait pas oublier que le Québec est une économie composée principalement de petites et moyennes entreprises, qui ont une flexibilité financière très restreinte.
Cette hausse se répercuterait sur des secteurs comme le commerce de détail, l’hébergement et la restauration, qui enregistrent le plus haut taux d’employés payés au salaire minimum. Dans d’autres secteurs, cette hausse se traduirait par une augmentation du prix des produits et des services, ou encore par un recours accru à l’automatisation, ou éventuellement par des fermetures ou des délocalisations.
Afin de dynamiser notre économie et d’augmenter notre niveau de vie général, il faut donc garantir de meilleures conditions pour que les employeurs d’ici puissent créer davantage d’emplois de qualité, en offrant des salaires reflétant la capacité de payer de l’économie québécoise.
De plus, le meilleur véhicule d’enrichissement des travailleurs, c’est la qualification et l’acquisition de compétences tout au long de la vie. C’est pourquoi nous devrions concentrer nos efforts et nos discussions sur l’importance de la formation et de la diplomation afin de contribuer à l’amélioration des conditions de vie et des perspectives à long terme de nos travailleurs.
Il faut augmenter la richesse collective du Québec et soulager notre société des problèmes de pauvreté. Est-ce qu’il faudrait augmenter davantage le salaire minimum ? Sûrement. Mais ce n’est pas juste une question idéologique, ce sont des choix pragmatiques impliquant des répercussions à grande échelle, qui ne peuvent pas être décrétés sur un coin de table et doivent être échelonnés dans le temps pour donner aux entreprises (et à l’économie en général) la capacité de les absorber.
Au CPQ, nous sommes en train de mener une recherche en profondeur afin d’évaluer l’impact réel de différents scénarios dont le facteur déterminant n’est pas tant le niveau de salaire à 15 $, mais la vitesse des augmentations et leurs conséquences sur le marché du travail.
Bref, le débat sur le salaire minimum est malheureusement mal engagé, car on y confond la fin avec les moyens.