Texte d’opinion de Françoise Bertrand et Yves-Thomas Dorval, respectivement présidente-directrice générale de la Fédération des chambres de commerce du Québec et président du Conseil du patronat du Québec.
La Presse, p. A29 – 22 mars 2014
Un récent sondage CROP sur la solidarité économique des Québécois, commandé par la firme Cogeco, vient confirmer une fois encore ce que plusieurs soupçonnaient déjà : près de la moitié (48 %) des Québécois pensent que dans la société actuelle, les entreprises nuisent beaucoup plus à la société qu’elles l’enrichissent.
Par ailleurs, 59 % estiment que des richesses, il y en a suffisamment chez nous : ce qu’il nous faut, c’est de prendre les moyens pour mieux les répartir.
S’il y a un défi économique que le Québec doit relever de toute urgence, c’est bien de corriger les perceptions négatives qu’un si grand nombre de Québécois entretiennent à l’égard des entreprises et des entrepreneurs, ainsi que de faire réaliser à la population que notre richesse collective est loin d’être aussi importante et aussi mal partagée que plusieurs le croient.
Si plusieurs éprouvent un faux sentiment de confort au chapitre du niveau de vie, c’est qu’on oublie que le Québec vit considérablement à crédit alors que nous traînons une dette se chiffrant maintenant à 198 milliards, soit 24 750 $ par personne vivant au Québec. C’est aussi que nous dépendons, dans une mesure non négligeable, de l’apport financier de nos concitoyens d’autres provinces qui, par la magie de la péréquation, partagent avec nous une partie de leurs revenus, plus précisément 9,3 milliards en 2014.
L’importance d’une image fidèle
Il est essentiel que les Québécois aient une image fidèle des finances publiques du Québec et de l’état de l’économie. À cet égard, en pleine campagne électorale, les représentants des divers partis en lice doivent se faire un devoir d’émailler leur discours des données financières les plus objectives possible. Au passage, ils pourraient aussi rappeler aux citoyens que le Québec est déjà une des sociétés les plus égalitaires qui soient.
Nous sommes tous conscients que notre qualité de vie dépend notamment des services qui nous sont rendus par différentes instances gouvernementales ou paragouvernementales. Réalise-t-on, par contre, que pour nous payer ces services et ce niveau de vie, il est impératif que l’entreprise privée et les gens qui y travaillent puissent générer de la richesse ?
L’entreprise privée fournit de l’emploi à près de 80 % des travailleurs québécois. Elle contribue par sa présence, sa production, son dynamisme et son audace, à créer les conditions nécessaires à notre essor économique et, par voie de conséquence, à alimenter ce partage de richesse et cette solidarité économique auxquels aspirent tant de Québécois.
Lorsqu’on parle d’entreprise privée, on parle non seulement de la très grande entreprise, malheureusement bien trop rare au Québec – à peine 317 entreprises de 500 employés et plus, soit 0,14 % de l’ensemble des entreprises -, mais aussi de la moyenne, de la petite… et de la très petite entreprise, soit 195 000 établissements de 20 employés et moins, 87 % de l’ensemble. On parle du garage du coin, de la petite usine, du nettoyeur, de la manufacture d’uniformes, de la compagnie de transport, du laboratoire, de la ferme laitière…
C’est de nos voisins, c’est de nous-mêmes que nous parlons. De ceux qui, tous les matins, se lèvent pour aller travailler et effectuent une journée de dur labeur pour mettre quelque chose dans leur assiette et contribuer, comme nulle part ailleurs en Amérique du Nord, à garnir l’assiette fiscale collective des Québécois.
S’imaginer que les entreprises nuisent beaucoup plus à la société qu’elles l’enrichissent, c’est faire outrage à toutes ces entreprises et à tous ces travailleurs dont dépend une large part de notre qualité de vie. C’est aussi freiner un moteur économique dont nous devrions, tout au contraire, encourager le plein fonctionnement.