On s’entend généralement pour laisser aux économistes et aux juristes le soin de concevoir les lois et règles qui régissent nos choix budgétaires et fiscaux. En ces domaines, ceux-ci sont experts de l’univers des possibles, puisqu’ils analysent et comprennent l’ensemble des causes et effets qui permettent de développer un système de création et de répartition de la richesse.
Je sais de quoi je parle, j’en suis!
Pourtant, force est d’admettre qu’en ce qui concerne la prospérité et son corollaire, la pauvreté, ce modèle n’a pas fait ses preuves. On a parfois l’impression que la richesse se crée en dépit des interventions publiques, et parfois même, malgré elles.
Puisque notre système de gouvernance économique produit de tels résultats, est-il possible d’imaginer un design plus efficace pour régir nos économies?
L’exp****érience utilisateur de la soci****ét****é
Dans un article publié récemment, le designer Guillaume Thoreau proposait de jeter un coup d’œil aux stratégies d’engagement déployées par les concepteurs de jeux sociaux en ligne, comme League of Legends ou Farmville. En effet, ces univers dépendent de stratégies inclusives, où tous les acteurs ont l’opportunité de créer de la valeur de manière immédiate, peu importe qu’ils soient débutants ou expérimentés.
Ces plateformes tirent leur succès de leur capacité à intégrer la notion d’exp__érience utilisateur (UX), devenue ubiquitaire dans les univers créatifs qui tirent nos économies vers l’avant : jeux vidéos, architecture, véhicules, conception web, produits électroniques et e-commerce. Dans un article publié dans la Harvard Business Review
en 2013, l’auteur Robert Fabricant va même jusqu’à promouvoir ce qu’il appelle le « UX leadership », une compétence que détient, écrit-il, un nombre croissant de hauts dirigeants.
Ce nouveau rôle du PDG, c’est celui du premier utilisateur et, surtout, du concepteur-en-chef. Cette transformation importante, déjà en branle chez BRP, Facebook, Apple ou Toyota, mériterait d’être transposée à la conception de politiques publiques.
Cela viendra, assurément.
Une population heureuse pour un pays prosp****ère
Malgré ses limitations, l’analogie avec l’économie des jeux vidéos révèle une réalité cruciale pour la gouvernance et la prospérité de nos sociétés : une population nombreuse et heureuse est toujours plus productive qu’une population pauvre et déshéritée.
En effet, les éditeurs de jeux ont intérêt à accroître le nombre de participants à leurs économies, afin que tous puissent contribuer à la dynamique économique interne des univers qu’ils créent. Un joueur heureux est un joueur qui rapporte. Bien entendu, certains bâtissent des empires, alors que d’autres cultivent leur jardin. Mais chacun, à sa manière, contribue à la prospérité collective de l’univers. L’idée même de pauvreté—bien que toujours relative —ne trouve pas sa place dans ces espaces narratifs.
Si l’économie du bonheur ne constitue pas une panacée pour la mesure de notre succès collectif, la corrélation entre le bien-être réel des individus et leur volonté à créer les produits et services de demain n’est plus à établir.
On peut donc penser la prospérité du Québec du futur comme le résultat d’une volonté de conception qui tire parti de l’énergie du plus grand nombre, de la force de travail et de la créativité inépuisable de tous ses citoyens.
Pour cela, il nous faudra certainement une bonne dose des meilleurs économistes et des meilleurs juristes de notre belle nation.
Mais il s’agit là d’un problème incomparablement complexe. Et dans ce cas, comme dans de nombreux autres domaines d’activité, une bonne dose de design — et le Québec compte certains des meilleurs designers au monde! — ne peut qu’être souhaitable pour concevoir des politiques publiques sensibles, intelligentes et efficaces.
À quand un ministre du Design pour le Québec?