Lettre d’opinion signée par le PDG du Conseil du patronat du Québec, Yves-Thomas Dorval.
Le Soleil, p. 17 – 6 juillet 2018 / Le Quotidien, p. 12 – 9 juillet 2018
Les lignes qui suivent ont été rédigées en marge d’une rencontre portant sur l’état de nos relations commerciales avec les États-Unis, convoquée par le premier ministre du Québec à la veille de la fête nationale américaine et réunissant les représentants patronaux et syndicaux.
Il y a, dans la stratégie de l’administration Trump, l’objectif – certes déroutant en 2018 – de semer le chaos et l’antagonisme dans les relations commerciales et diplomatiques. Son calcul est simple : agresser et user les économies concurrentes, en les prenant par surprise et en leur faisant plus mal qu’à sa propre économie à court terme. Dans la tête du président, il ne peut y avoir qu’un gagnant. Sa base l’a élu sur la prémisse de l’« America first », instrumentalisée à toutes les sauces à coup de tweets ravageurs. L’approche gagnant-gagnant n’existe pas chez lui, quitte à s’affranchir des règles du droit du commerce international ou des ententes signées par ses prédécesseurs. Nous l’avons compris, l’homme n’écoute nul autre que lui-même. Il faut maintenant s’adapter et endurer.
Objectivement, l’économie canadienne ne peut pas sortir gagnante d’une guerre commerciale continue. Même si la dignité nous impose de répondre aux attaques, il faut éviter de tomber dans la surenchère verbale, et résister à la tentation de se livrer à des représailles démesurées. L’imposition tous azimuts de tarifs douaniers des deux côtés de la frontière met à mal l’équilibre de trois choses interdépendantes : la profitabilité des entreprises, la fluidité du commerce interfrontalier, et l’organisation des chaînes de valeur.
L’équilibre de cet écosystème s’est établi progressivement avec les années. Il est difficile de mesurer où et comment les impacts toucheront les entreprises, entre la production primaire et les différents cycles de transformation, de transport ou de distribution, et ce, des deux côtés de la frontière. Une chose est toutefois certaine, nous comprenons aujourd’hui, mieux qu’hier, à quel point les économies nord-américaines se sont intégrées, de manière quasi symbiotique.
L’attitude de l’administration Trump démontre qu’on ne peut plus prendre aucune menace à la légère, ce qui nous impose un devoir d’anticipation. Sans céder à la panique, il nous faut, tant au provincial qu’au fédéral, réunir toute l’intelligence disponible – entreprises, syndicats, fonctionnaires, experts – pour comprendre les écosystèmes des secteurs qui sont dans la mire du président et pourraient faire les frais de nouvelles salves. Tout en continuant de soutenir les secteurs déjà touchés (bois, aluminium, etc.), il faut se doter de plans de match pour tous les secteurs exposés, sans se laisser distraire par les menaces, et sans attendre de savoir où frappera le président la prochaine fois.
On peut répondre adéquatement par des mesures de soutien financier direct des secteurs frappés par la hausse des tarifs douaniers, sauf que ces mesures n’ont qu’une portée à court terme et elles seront naturellement limitées dans le temps si la situation s’enlise. Nous devons adopter une approche plus équilibrée et plus globale pour nos secteurs déjà touchés, aussi bien que pour ceux qui sont menacés. Cette approche doit couvrir l’ensemble de la chaîne de valeur (production, transformation, transport et distribution) et viser à sensibiliser et à accompagner nos entreprises, en leur facilitant la vie sur trois fronts principalement :
- La réorganisation de leur chaîne d’approvisionnement à l’échelle internationale et nationale, en renforçant, notamment, les possibilités d’intégration de fournisseurs locaux. Il faut identifier et faire connaître les alternatives, et faciliter la réunion de l’offre et de la demande. Les donneurs d’ouvrage publics et privés doivent également faire partie de la démarche.
- La diversification de leurs marchés d’exportation par le développement de nouvelles clientèles dans le monde, en profitant des ouvertures de marché que procurent, entre autres, les accords de libre-échange avec l’Union européenne et les pays asiatiques.
- Mais surtout, le recentrage de l’action économique des gouvernements vers la productivité et la compétitivité des entreprises, car, en définitive, tout revient à une question de marge et de profitabilité. À cet égard, il faut poursuivre sans relâche le travail en faveur de politiques fiscales et réglementaires appuyant la productivité – qui inclut l’efficacité logistique – afin de rendre nos entreprises plus concurrentielles et en faciliter l’expansion sur la scène internationale.
On dit qu’à toute chose, malheur est bon. Avec le temps, nous avons peut-être trop tenu pour acquis le partenaire américain. L’électrochoc actuel doit nous servir à sortir de notre dépendance à l’endroit de l’économie étatsunienne, en nous ouvrant davantage sur le reste du monde.