L’EDI, une amie qui nous veut du bien

Lettre ouverte cosignée par Karl Blackburn, président et chef de la direction du CPQ, publiée le 11 mars 2025 dans Le Devoir.

EDI le matin, EDI le midi, EDI le soir… Depuis l’intronisation de Donald Trump, il ne se passe pas une journée sans qu’on entende parler de politiques d’équité, diversité et inclusion (EDI), que le nouveau président combat avec ferveur.

Sur ses ordres, une longue liste de termes y étant liés a récemment été effacée des sites gouvernementaux américains. Plus encore, toute recherche universitaire utilisant des mots comme « minorités », « diversité », « genre », « racisme », « discrimination », « handicap » et « femme » verra dorénavant son financement public être refusé.

Alors que le vent souffle très fort contre le vivre-ensemble et que certaines grandes entreprises délaissent l’EDI, en tout ou en partie, d’autres se tiennent debout dans la tempête et réaffirment leur engagement.

Les frontières n’étant pas étanches, le Québec et le Canada n’échappent pas aux questionnements. Pour ne pas y perdre son latin — ni le nord —, un pas de recul s’impose, afin de se rappeler d’où vient l’EDI, à quoi ces politiques servent et pourquoi, à l’heure où l’autoritarisme gagne du terrain, elles sont plus que jamais essentielles.

Quel visage montrer ?

Diverses initiatives inclusives avaient cours en entreprise bien avant qu’on les regroupe sous le libellé actuel, mais le meurtre de George Floyd, le 25 mai 2020, a accéléré l’élan pour les actions en faveur de groupes sous-représentés. Grâce à l’écoute collective inhérente à la pandémie, l’engouement fut exponentiel. Cinq ans plus tard, l’inclusion est un jardin fragile, dans un champ parsemé de mauvaises herbes… Pourquoi ?

Parce que les ressources investies en EDI et les pratiques y étant liées ont connu une expansion rapide, en n’étant pas toujours bien expliquées. Parce que certaines nouveautés peuvent intimider, à commencer par l’acronyme à trois lettres lui-même. Parce que le contexte mondial est marqué par la désinformation, aidée par la montée des idéologies d’ultra-droite. Parce que notre économie fait dire à certains que cette quête de vivre-ensemble nous détourne de problèmes plus importants.

Pourtant, le visage que le Québec et le Canada présentent au reste du monde ne serait pas le même sans certaines de ces politiques. Collectivement, nous avons énormément à gagner à développer des milieux de travail équitables, diversifiés et inclusifs, et à continuer de colmater les fissures du passé. C’est pourquoi, aujourd’hui, chères entreprises persévérant dans cette voie humaniste, il vous faut tenir bon et être fières de cultiver des milieux accueillants pour toutes et tous.

Toutes les nuances d’humains

De passage à Tout le monde en parle le 2 février dernier, Martine Roy a parlé de la purge LGBT qui a eu lieu dans les institutions fédérales canadiennes, dans les années 1980, et qui lui a fait perdre son emploi dans l’armée, en tant que lesbienne. Il lui a ensuite fallu près d’une décennie pour se trouver un emploi épanouissant, où elle se sentirait en sécurité, chez IBM, qui a des politiques inclusives depuis les années 1950. Elle était soufflée.

La raison de son employeur, privé, à s’engager dans la voie de l’inclusion était claire : les entreprises gagnent à ce que tout le monde puisse être soi-même et, ainsi, apte à se concentrer sur son travail sans se sentir menacé. Et les données leur donnent raison. « Diversity improves performance and outcomes », titrait un article de PubMed en 2019 : la diversité améliore la performance, notamment financière, des entreprises.

Mais au-delà de l’argent qui parle (money talks, oui), l’altérité est une richesse. Si chacun réfléchissait avec son clone, la société piétinerait. S’entourer de « même », c’est produire du « même » ; du pareil, du redondant, du convenu. Les plus grandes avancées viennent du choc des idées, de la pluralité des perspectives, de la diversité des vécus. Réunir des personnes aux profils différents est fructueux et court-circuite nos angles morts.

Un nous pluriel très précieux

Croire que la méritocratie existe, réduire l’équité-diversité-inclusion à des histoires de quotas imposés, c’est ouvrir grand la porte à l’exclusion et aux biais. Se retourner vers le même est facile, mais l’entre-soi est voisin de l’indifférence. Appartenir est vaste ; « penser en dehors de la boîte », ça ne se fait pas avec soi-même, et ce n’est pas ce qui bâtit des sociétés en santé.

Le Québec est créatif et accueillant. Ces valeurs font partie de nous — et ce nous est pluriel. Continuons fièrement à implanter des milieux de travail où tout le monde a les mêmes chances de s’épanouir, dans le respect de son intégrité. Continuons d’accueillir les nuances de chacun et chacune, de valoriser le « savoir travailler ensemble », rassurant et mobilisateur.

« La démocratie, ce n’est pas la loi de la majorité, mais la protection de la minorité », écrivait Albert Camus. Multiplier les mains tendues dans le contexte actuel est un devoir, que nous continuerons à remplir la tête haute. Parce que quand on prend le temps de s’arrêter pour regarder l’aiguille de notre boussole, celle-ci ne ment pas : même dans la tempête, elle pointe vers un nord éminemment humain.

* Ont cosigné cette lettre :

Chloé Freslon, Valérie Pisano, Carla Beauvais, Chris Bergeron et Marie-Christine Ladouceur-Girard, respectivement fondatrice d’URelles ; présidente et cheffe de la direction de Mila — Institut québécois d’intelligence artificielle ; co-fondatrice et directrice exécutive de la Fondation Dynastie ; vice-présidente, culture, tendances, diversité chez Cossette ; directrice générale de La Maison de l’innovation sociale. Elles cosignent cette lettre avec plus d’une centaine de personnes de tous les milieux.

1- Ingrid Enriquez-Donissaint, cofondatrice, Pre&ent ; 2- Émilie Ruffin, experte conseil en stratégie et culture organisationnelle ; 3- Amélie Duceppe, directrice générale, Théâtre Duceppe ; 4- Maya Colombani, chef de la direction du développement durable et des droits humains, L’Oréal Canada ; 5- Sylvain Carle, directeur exécutif et co-fondateur, CIVIC ; 6- Stéphane Vaillancourt ; 7- Rafaël Provost, directeur général d’ENSEMBLE pour le respect de la diversité ; 8- Charles Saliba-Couture, fondateur, Les mots pour la cause ; 9- Laura Parent, conférencière et experte vie professionnelle et marque employeur ; 10- Isaël Morin, spécialiste en marque personnelle pour entrepreneur·e·s en B2B ; 11- David Bensadoun, PDG, Groupe ALDO ; 12- Cadleen Désir, entrepreneure sociale et administratrice ; 13- Pascale Caidor, professeure adjointe, Université de Montréal ; 14- Marie-Christine Ladouceur-Girard, directrice générale, Maison de l’innovation sociale ; 15- Manon Barbeau, cinéaste, fondatrice du Wapikoni mobile ; 16- Véronique Rankin, directrice générale, Wapikoni mobile ; 17- Karl Blackburn, président et chef de la direction, Conseil du patronat du Québec ; 18- Sébastien Arcand, professeur titulaire, HEC Montréal ; 19- Dimitri Girier, chef apprentissage, Développement et Inclusion, Université de Montréal ; 20- Pierre-Luc Labbée, PDG, Rhum ; 21- Claire Trottier, présidente, Fondation Euphrosine ; 22- Serge Villemure, conseiller, EDI et politiques des sciences, ex-CRSNG ; 23- LN Saint-Jacques, gestionnaire bienveillant et inclusif en innovation sociale ; 24- Hélène Godin, Ambassadrice Factry, école des sciences de la créativité ; 25- Selena Lu, avocate et administratrice de sociétés ; 26- Sophie Montreuil, directrice générale de l’Acfas ; 27- Alain Champagne, président et chef de la direction, Le Groupe Maurice ; 28- Denis Desaulniers, VP Talent et culture, Le Groupe Maurice ; 29- Genevieve Boulanger, présidente, cheffe de la direction des opérations Amérique du Nord, Sid Lee ; 30- Katia Aubin, fondatrice, Pivot Collectif/Présidente du CA de Fierté au travail Canada ; 31- Florence Gagnon, fondatrice du magazine lstw et gestionnaire chez Fierté au travail Canada ; 32- Marthe Rocheteau, psychosociologue et coach certifiée, fondatrice et directrice de Transition ; 33- Marie-Evelyne François, cheffe de la direction Diversité, Équité et Inclusion, L’Oréal Canada ; 34- Léa Clermont-Dion, directrice d’On s’écoute, autrice et réalisatrice ; 35- Tina Vassiliou, formatrice École de dirigeants des Premières Nations, HEC Montréal ; 36- Malorie Flon, directrice générale, Institut du Nouveau Monde ; 37- André Dudemaine, directeur de Terres en vues ; 38- Martine Roy, présidente du Fonds Purge LGBT ; 39- Miro Laflaga et Ashley Phillips, cofondateur·trice, Six Cinquième ; 40- My-Linh Diep, présidente, Santé Continuum ; 41- Nicole Antoine, PDG, N/A et Cie/Four Brown Girls (BLAXPO) ; 42- Camille Fortier-Jordan, vice-présidente, directrice générale, Publicis Montréal ; 43- Élise Tastet, PDG, Tastet ; 44- Isabelle Giroux, conseillère en pratiques écoresponsables et ÉDIA, Société MONDO America Inc. ; 45- Chantal Fifatin, coach ACC Professionnels RH/ED ; 46- Caroline Boyce, consultante en acquisition de talents et expérience employé ; 47- Judith Dorvil, fondatrice de la marque Les Mimis ; 48- Catherine Morellon, présidente, Frequence ; 49- Véronique Guèvremont, professeure, titulaire de la Chaire UNESCO sur la diversité des expressions culturelles, Université Laval ; 50- Louis-Félix Binette, directeur général, MAIN ; 51- Yousr Masmoudi, enseignante en francisation ; 52- Esther Dormagen, présidente Ellio ; 53- Emmanuella Michel, CEO Cogni® et ambassadrice CFSC-OPEC (Computer for school Canada) ; 54- Danièle-Jocelyne Otou et Erin Willett, cofondatrices, New Room ; 55- Mai Duong, fondatrice et présidente, Swab the World ; 56- Edith Bernier, Autrice, conférencière et fondatrice de Grossophobie.ca ; 57- Kim Levan, cofondatrice, Afterglo ; 58- Rola Helou, directrice général, Solutions S.O.A.R. ; 59- Laure Mathieu, designer (culturel et social) ; 60- Julie Desjardins, directrice principale, Communications et rayonnement, Finance Montréal ; 61- Ariane Marchand-Labelle, directrice générale par intérim, Comité sectoriel de main d’oeuvre économie sociale et action communautaire (CSMO-ESAC) ; 62- Giany Huyhues-Despointes, manager Diversité, Équité et Inclusion, Transport Aérien ; 63- Frédéric Morin-Bordeleau, sirecteur.trice général.e, MR-63, Corridor Culturel et Artbangbang ; 64- Cynthia Eysseric, sirectrice générale intérim, Réseau des lesbiennes du Québec ; 65- Mariloue Daudier, conseillère principale en équité, diversité et inclusion, D2R à l’Université McGill ; 66- Sophie Reis, autrice, conférencière et consultante en alliances stratégiques ; 67- Oanh Nguyen, conseillère en accessibilité universelle, AlterGo Expertise ; 68- Clarah Germain, directrice, Expérience-invité, Hôtels Germain ; 69- Harry Julmice et Joanna Chevalier, cofondateur.trice, Never Was Average ; 70- François Canuel, président, Tam-Tam/TBWA ; 71- Sarah Di Domenico, cofondatrice, cheffe de la création, Wedge ; 72- Stéphanie Jecrois, cofondatrice et directrice générale, Technovation Montréal ; 73- Simon Parent, VP Affaires, Cossette et membre du CA de Fierté au travail Canada ; 74- Gisèle Tassé-Goodman, présidente, Réseau FADOQ ; 75- Nathalie Gamache, ex-vice-présidente marketing et innovation Cascades Emballage carton-caisse ; 76- Christine Paré, conseillère principale en équité, diversité et inclusion, Institut TransMedTech-CHU-Sainte Justine ; 77- Catherine Bourgeois, cofondatrice et directrice artistique, Joe Jack et John ; 78- Joseph Alex Olivier Vilaire/Oski Awoyo, Artiste multidisciplinaire, directeur artistique ; 79- Marie-Christine Jeanty, travailleuse du milieu culturel et pigiste en communication ; 80- Judith Dignard, cofondatrice et associée, Boite Pac ; 81- Thomas Ferland-Dionne, cofondateur et associé, Boite Pac ; 82- Michelle Camara, consultante ; 83- Martine St-Victor, directrice générale, Edelman Montréal ; 84- Rhodnie Désir, chorégraphe, cheffe de la création et directrice générale chez RD Créations ; 85- v, commissaire, auteure et critique d’art ; 86- Sarah Patier, Lead, Engagements Responsables, Tux ; 87- Josée Daris, spécialiste en égalité et consultante indépendante ; 88- Patrick Desmarais, président, Fondation Émergence ; 89- Pauline Minkoue, entrepreneure sociale et administratrice du RIQEDI ; 90- Sheila Skaiem, fondatrice, agence Avec Sheila ; 91- Alexandra « Spicey » Landé, fondatrice et directrice générale de Compagnie Ebnflōh ; 92- Rachel Desbiens-Després, présidente-directrice générale, Canidé ; 93- Véronique Brière, étudiante à la maîtrise en gestion des personnes en milieu de travail à l’UQAR ; 94- Yasmina Drissi Kaitouni, cheffe, Expérience Talent et Inclusion, Chambre de commerce du Montréal métropolitain ; 95- Christine Lévesque, cheffe, expérience talent et inclusion à la FCCQ ; 96- Winston Chan ; 97- Élise Le Dref, directrice talents et diversité, Chambre de commerce du Montréal métropolitain ; 98- Yves Alavo M.Sc. stratège communications, culture et international ; 99- Pierre Des Marais, directeur artistique et général, Danse Danse ; 100- Christina Paquette, codirectrice artistique et générale 100Lux ; 101- Munezero Axelle, cofondatrice, codirectrice artistique et générale 100Lux ; 102- Mélanie Demers, chorégraphe, metteuse en scène et directrice de MAYDAY ; 103- Jack Latulippe, chef de la création, Havas Creative Canada ; 104- María-Gracia Girardi, conseillère en équité, diversité et inclusion, Polytechnique Montréal ; 105- Philip Szporer, réalisateur/producteur, Mouvement Perpétuel .

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