Mise en contexte
Les observations formulées dans le présent mémoire s’inscrivent dans la volonté de s’assurer que l’encadrement des normes du travail maintienne un équilibre entre les préoccupations des employeurs selon leurs différentes réalités, et celles des salariés, pour des relations harmonieuses, un marché du travail performant et un dynamisme économique propice au progrès social.
À nos yeux, la Loi sur les normes de travail (LNT) devrait représenter un plancher, des normes minimales à respecter, pour que tous les travailleurs aient accès à des conditions de travail justes et équitables, et ce, peu importe le pouvoir de négociation dont ils disposent avec leur employeur. Ainsi, il est important de souligner que les employeurs au Québec sont nombreux à offrir davantage que ce qui est prévu dans la Loi, en raison notamment du contexte actuel du marché du travail. Par exemple, selon un sondage Léger mené pour le compte du CPQ, près de quatre employeurs sur cinq offrent des mesures favorisant la conciliation travail-famille; ceux qui ne le font pas n’ont souvent pas la capacité de le faire à cause de marges de profit trop faibles ou des contraintes opérationnelles.
Il faut rappeler par ailleurs que les normes du travail ont été établies dans un contexte d’offre de travail abondante. Or le contexte aujourd’hui et pour le proche avenir est complètement différent. Il faut donc veiller à ce que les employeurs aient de la souplesse dans leur offre de conditions de travail et de rémunération pour attirer et retenir les travailleurs.
Certains employeurs peuvent être moins responsables, d’où l’importance d’établir des normes minimales, de veiller à ce qu’elles soient respectées, et de sanctionner les comportements délinquants. La réglementation peut également être bénéfique pour les employeurs eux-mêmes. Toutefois, il faut prendre garde à des changements qui se veulent vertueux en théorie, mais qui se traduisent dans les faits par davantage de rigidité, alourdissent le fardeau administratif et financier des employeurs et mènent à des conséquences non souhaitables. Il faut s’assurer qu’en fin de compte, l’encadrement des normes de travail ne creuse pas l’écart de compétitivité des employeurs du Québec.
Dans cet esprit, nous tenons à faire trois observations générales dont il faudra tenir compte dans le cadre de la révision de la LNT.
Générosité du régime québécois
Que ce soit par rapport aux autres provinces canadiennes ou par rapport aux normes en vigueur ailleurs en Amérique du Nord, le Québec offre déjà, par le biais de la LNT, des normes du travail parmi les plus généreuses qui soient pour les travailleurs. Depuis l’adoption de la première mouture de la Loi il y a plus de 30 ans, de nombreuses modifications sont venues bonifier ce régime minimal, par exemple au chapitre de la durée de la semaine de travail, du salaire minimum, des absences en cas de maladie, du congé parental ou de congés pour obligations familiales, de l’interdiction du harcèlement sous toutes ses formes, etc.
Sans remettre en cause le bien-fondé de ces mesures, force est de constater que leur effet cumulatif a créé, avec le temps, un cadre législatif qui se démarque déjà grandement des autres juridictions avec lesquelles le marché du travail québécois doit concurrencer en Amérique du Nord.
Pour apprécier l’importance de cette distinction, nous avons reproduit en annexe un tableau comparatif entre le Québec et d’autres juridictions, que nous avions produit il y a moins d’un an. Ce tableau a été mis à jour pour refléter certaines modifications apportées depuis aux normes du travail.
Le besoin de conserver une économie concurrentielle
À part les normes de travail, il faut rappeler que la pression fiscale sur les entreprises est particulièrement élevée au Québec. Notamment, les taxes sur la masse salariale sont 52 % plus élevées ici que la moyenne canadienne(1). Les régimes sociaux que financent ces taxes sur la masse salariale sont aussi parmi les plus généreux au Canada, qu’il s’agisse de congés parentaux, de santé et sécurité du travail ou autres. Ainsi, le Québec est déjà positionné comme une juridiction qui est à la fois très généreuse en matière de conditions de travail, et davantage en matière de solidarité et programmes sociaux, et en queue de peloton en matière de compétitivité fiscale en ce qui touche à la masse salariale.
C’est sans compter le poids réglementaire, autre qu’en matière de normes du travail, auquel les entreprises du Québec doivent aussi faire face.
Mis ensemble, tous ces éléments deviennent selon nous un frein à la compétitivité et à la croissance des entreprises, un frein d’autant plus important que la grande majorité des employeurs sont des PME. En effet, 86 % des entreprises québécoises comptent moins de 20 employés, et 95 % en comptent moins de 50.
Pénurie de main-d’oeuvre
Aussi, les employeurs du Québec font face à une pénurie sans précédent de main-d’oeuvre, avec ou sans qualification. Afin d’attirer et de retenir les talents nécessaires à leur croissance, ces employeurs ont besoin d’une flexibilité qui leur permet de se livrer une saine concurrence, selon leur réalité et celle de leurs employés. De l’avis du CPQ, la révision proposée à la LNT va dans le sens contraire : alors que bon nombre d’employeurs offrent déjà davantage que ce à quoi ils sont tenus, le projet de loi à l’étude viendrait normaliser plusieurs des éléments qui permettent aux employeurs de se démarquer à l’heure actuelle. On leur retire ainsi des outils et des moyens de se livrer une saine concurrence sur le marché du travail et de répondre aux besoins et préférences de leurs employés.
Ainsi, même si plusieurs des mesures contenues dans le projet de loi à l’étude sont louables, il faut tenir compte de l’impact de l’ensemble de ces mesures, appliquées simultanément, sur la compétitivité des entreprises du Québec et sur notre capacité collective d’attirer d’autres entreprises. Dans l’économie du 21e siècle, les employeurs québécois doivent être en mesure de rivaliser avec les juridictions concurrentes.
Soulignons qu’en vertu de la Politique gouvernementale sur l’allègement réglementaire et administratif, l’impact de toute nouvelle mesure doit être compensé par la réduction d’une obligation équivalente. Les lois et réglementations du travail devraient être incluses dans cette règle du « un pour un ».
Ces observations nous apparaissent particulièrement essentielles alors que les employeurs doivent déjà assumer l’accélération de l’augmentation du salaire minimum et la réforme du Régime de rentes du Québec. Ces éléments s’ajoutent à la pression à la hausse exercée sur les conditions de travail et découlant du phénomène de rareté de main-d’oeuvre que nous avons décrit plus tôt.
Dans un tel contexte, il nous semble crucial de préserver la vitalité d’entreprises qui devront affronter une augmentation naturelle, mais marquée, des coûts de main-d’oeuvre à cause de ce phénomène de rareté. Un cadre normatif plus lourd ou plus complexe deviendrait un autre frein limitant à la fois le potentiel de croissance économique, le potentiel de création et de maintien d’emploi et le potentiel de croissance de la rémunération.
Or quand l’économie va bien, les conditions de travail suivent, l’exemple le plus probant étant la tendance actuelle à la hausse des salaires au Québec. Le salaire horaire moyen a grimpé de 3 % en 2017, ce qui est bien plus que la moyenne canadienne de 1,7 %, que l’Ontario (1 %) et la Colombie-Britannique (1,8 %)(2). Sur trois ans, la croissance de ce salaire a été de 8 % au Québec, devançant encore l’Ontario (6,4 %), la Colombie-Britannique (5,8 %), et la moyenne canadienne (6,6 %).
Notes
- Basé sur les chiffres de 2017. Il est vrai que la cotisation au FSS, élément le plus important de cet écart, a commencé à diminuer récemment pour les PME. Ce chiffre concerne les grandes entreprises, dont la masse salariale est de de plus 5 M$.
- Statistique Canada, enquête sur la population active.