Chronique de Norma Kozhaya, vice-présidente à la recherche et économiste en chef du Conseil du patronat du Québec
Premières en Affaires, p. 8 – 31 octobre 2014
La productivité, un mot parfois honni, est sans contredit un déterminant essentiel du niveau de vie d’une société. Une productivité plus élevée permet de produire plus de biens et services avec le même effort de travail. Plusieurs facteurs influencent le niveau de productivité, notamment le capital physique comme les machines et les équipements; l’organisation du travail et de la production, l’innovation dans les procédés et dans les produits, l’environnement d’affaires qui englobe la réglementation, la culture et les infrastructures, et finalement et non le moindre, le capital humain, ce dont je vais vous parler aujourd’hui.
Qui dit capital humain, dit disponibilité d’une main-d’œuvre qualifiée, avec non seulement des connaissances mais aussi des compétences pouvant s’adapter aux réalités et besoins changeants de l’économie et du marché du travail. Ceci est particulièrement vrai dans le contexte de vieillissement démographique que l’on observe au Canada et de façon plus accentuée au Québec.
Avec des pénuries de main-d’œuvre appréhendées dans plusieurs secteurs, les enjeux de capital humain deviennent de plus en plus des facteurs mondiaux de compétitivité. Vouloir y faire face implique, non seulement, de lutter contre le décrochage scolaire, de s’assurer que les diplômés du secondaire aient bien acquis les compétences de base et de pouvoir compter sur un nombre suffisant de diplômés universitaires, mais aussi de favoriser l’acquisition et le développement des compétences tout au long de la carrière et d’augmenter le nombre de diplômés issus de la formation professionnelle et technique.
Selon Emploi Québec, 39 % des emplois qui seront créés d’ici 2021, soit 103 000 sur 264 000, exigeront une formation professionnelle (secondaire) ou technique (collégiale), alors que ceux nécessitant une formation universitaire en constitueront 38 % (99 000). Devant de tels chiffres, la reconnaissance de l’importance de la formation professionnelle ou technique, qui à priori ne semble pas un enjeu de société aussi vital que d’autres, est incontournable. Il est d’ailleurs heureux que, dans son discours d’ouverture, le premier ministre Philippe Couillard ait mentionné notamment le modèle allemand avec son modèle dual de formation. L’approche allemande n’est pas basée seulement sur des savoirs théoriques, mais aussi sur l’acquisition de compétences et d’aptitudes pratiques. Un aspect essentiel de ce modèle réside dans le fait que la formation professionnelle est un choix valorisé au même titre sinon plus même que la formation générale, alors qu’au Québec, selon des estimations, l’âge moyen des étudiants en formation professionnelle est de 28 ans, ce qui laisse croire qu’il s’agit souvent d’un second choix.
Issu d’une longue tradition, le modèle allemand ne s’importe pas tel quel facilement au Québec ou ailleurs, mais nous pouvons sans aucun doute nous en inspirer. La valorisation de la formation professionnelle est un bon début. Pour contribuer à cette valorisation, une meilleure diffusion de l’information sur le marché de travail destinée aux jeunes et à leurs parents au sujet des perspectives d’emploi et des besoins, de même qu’une plus grande collaboration entre le milieu scolaire et les entreprises s’avèrent nécessaires.
Parallèlement à la formation professionnelle, la formation continue en emploi est un autre élément pour permettre aux travailleurs de maintenir leurs compétences à jour, d’en acquérir de nouvelles surtout lors de changements technologiques. Or, le Québec figure parmi les provinces au Canada où il se fait le moins de formation en emploi. Le Canada, non plus, ne fait pas si bonne figure à cet égard au niveau mondial.
Plusieurs actions sont nécessaires, en particulier, de donner une plus grande souplesse aux institutions d’enseignement dans l’offre de programmes et dans la durée des formations professionnelle et technique en fonction des compétences exigées par le marché du travail (un an, deux ans, trois ans) et non pas d’impératifs arbitraires. Il est, par ailleurs, nécessaire de développer collectivement une véritable culture de la formation continue. Tous les partenaires – gouvernement, mais aussi employeurs, travailleurs, milieu de l’éducation et milieu communautaire – doivent travailler ensemble afin de mettre en œuvre ces pistes de solution. Il en va de notre productivité et de notre prospérité.