Salaire minimum à 15 $ – Un impact nécessairement négatif

Lettre ouverte de Norma Kozhaya, v.-p. – Recherche et économiste en chef du Conseil du patronat du Québec.
La Presse+, p. web – 2 mai 2018

Le débat sur la hausse du salaire minimum à 15 $ que certains ne cessent de ramener sur le tapis comporte de nombreux aspects, comme l’impact sur l’emploi, la productivité, les prix, la pauvreté, les régions, et d’autres encore.

Mais toutes ces questions se rapportent à deux arguments fondamentaux : tout d’abord, on ne peut pas parler de revenu au salaire minimum sans parler des autres aspects de fiscalité et de services sociaux qui affectent le revenu disponible ; ensuite, on ne peut pas imposer un niveau de salaire qui n’a aucun rapport avec la valeur économique nette qu’il permet de créer sans que cela entraîne des répercussions.

Pour ce qui est du premier aspect, la toute dernière analyse de la Chaire de recherche en fiscalité et en finances publiques démontre que, même si au Québec le salaire minimum horaire est plus bas que celui des trois autres grandes provinces canadiennes, le revenu disponible correspondant assure un taux de couverture des besoins de base généralement plus élevé en raison d’une charge fiscale nette plus basse(1).

Pour ce qui est des répercussions, celles-ci sont en général négatives : réduction d’heures de travail, réduction d’avantages sociaux, mises à pied, hausses de prix, expansions remises à plus tard et fermetures.

Ce sont ceux qu’on tente d’aider qui en seront les premières victimes, c’est-à-dire les personnes à faible revenu qui perdront leur emploi ou n’en trouveront pas, ou celles qui devront payer plus cher pour certains produits.

Une récente étude de l’Institut de recherche et d’informations socio-économiques (IRIS) cherche toutefois à nous faire croire que ces répercussions négatives n’auront pas lieu parce qu’elles seront contrebalancées par les retombées économiques d’une hausse du salaire minimum.

En calculant l’augmentation de la masse salariale des personnes dont le salaire passera à 15 $ ainsi qu’un possible effet d’entraînement sur ceux dont le salaire est déjà juste au-dessus de ce montant, les chercheurs de l’IRIS ont estimé des retombées entre 2,2 et 3,4 milliards. Ces sommes tiennent compte de pertes d’emplois appréhendées très minimes, correspondant à environ 2 % des emplois dont le taux horaire est de moins de 15 $.

Selon l’IRIS, les entreprises devraient comprendre qu’il est dans leur intérêt de mettre ce pouvoir d’achat dans les mains des consommateurs, puisque « Plus de salaire = plus de consommation = plus de chiffre d’affaires ».

Ce ne serait donc pas un problème d’exiger des entreprises qu’elles offrent des salaires plus élevés puisque les travailleurs dépenseront leur argent nouvellement gagné pour acheter les produits de ces mêmes entreprises. L’argent sort de la poche des entreprises et y revient, et tout le monde en bénéficie !

Ce scénario de retombées économiques est toutefois, c’est le moins qu’on puisse dire, assez irréaliste. En premier lieu, il faudrait présumer que les entreprises embauchant les 830 000 travailleurs qui gagnent 15 $ ou moins au Québec sont exactement les mêmes qui verront leurs produits plus demandés, et dans une proportion équivalente à la masse salariale additionnelle qu’elles auront à débourser. Il n’y a aucune raison de croire que ce sera le cas.

Il faut par ailleurs tenir compte de l’effet sur les prix.

L’IRIS admet que l’augmentation des coûts de main-d’œuvre pourrait entraîner une hausse additionnelle des prix à la consommation de 1 à 2 points de pourcentage, qu’ils estiment négligeable. Or, étant donné que l’inflation se situe à ce niveau depuis des années, il s’agirait d’une hausse importante.

Mais de façon plus cruciale, ce ne sont pas tous les prix qui seront affectés de la même façon. Les secteurs où les salaires sont généralement élevés, comme les services financiers par exemple, ne seront pas touchés, et il n’y aura probablement pas d’augmentation de prix de ces services. D’autres secteurs, comme le commerce de détail, l’agroalimentaire ou la restauration, seront directement et lourdement touchés. Les prix y augmenteront de façon beaucoup plus importante.

Peut-on croire, encore une fois, que ce sont uniquement ces entreprises qui profiteront des « retombées économiques », que ce sont chez elles que la masse salariale additionnelle sera entièrement dépensée, surtout si les prix augmentent de façon notable ? Évidemment que non.

L’équation de l’IRIS ne s’appuie en fait sur aucune logique économique.

Une partie des salaires additionnels sera dépensée (le reste sera épargné, partira en impôts et taxes, ou servira à rembourser des dettes). Et une partie seulement de ces dépenses se feront dans les entreprises touchées par la hausse du salaire minimum.

Le résultat est que pour la plupart des entreprises touchées, qui se situent dans des secteurs à faible marge, rappelons-le, une hausse du salaire minimum, sans une augmentation correspondante de la productivité qui la justifierait, entraînera nécessairement des répercussions négatives, pour elles-mêmes et pour les travailleurs et les consommateurs.

L’impact global de ces répercussions sera nécessairement négatif (diminution de PIB, des heures travaillées, du pouvoir d’achat, etc.). On ne peut malheureusement pas faire disparaître cet impact en sortant de son chapeau une équation simpliste.

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