Préserver la qualité du français, une responsabilité urgente et collective

En cette ère où les communications n’ont plus de frontières, où les réseaux sociaux nous renvoient tous les jours l’image d’une langue française de moins en moins lisible et charcutée, et surtout où les opinions se polarisent et ne laissent plus de place à la nuance, que faut-il attendre?

Lettre ouverte par Karl Blackburn, président et chef de la direction du CPQ, publiée le 15 février 2021 dans Le Devoir.

À la fin de l’automne dernier, lorsque les gouvernements de Québec et d’Ottawa laissaient entendre qu’ils réviseraient bientôt leur loi linguistique respective, le Conseil du patronat du Québec a préparé un questionnaire pour ses membres, afin de sonder l’opinion des employeurs du Québec. Les réponses et les échanges qui ont suivi ont permis de dégager un constat qui dépasse largement les limites de ce que la politique peut accomplir.

Outre la volonté exprimée de mieux protéger le français, démontrant conséquemment une bonne ouverture à renforcer les règles actuelles, la véritable préoccupation constatée, voire un signal d’alarme, visait la qualité du français.

Cette question n’est pourtant pas nouvelle. Combien de chiffres ont été publiés sur cette question, sans jamais susciter de véritable tollé?

On sait par exemple que plus de 53 % des Québécois sontanalphabètes ou analphabètes fonctionnels, c’est-à-dire ayant d’importantes lacunes les empêchant de comprendre des structures de textes, de cerner, d’interpréter ou d’évaluer des informations. À lui seul, ce chiffre devrait susciter une véritable prise de conscience.

Dans sa plus récente analyse sur le décrochage scolaire, le ministère de l’Éducation nous informait que, parmi les décrocheurs scolaires de 5e secondaire, 70 % des jeunes francophones avaient échoué à atteindre les exigences en français.

En août dernier, l’Institut de la statistique du Québec nousapprenait, dans son Enquête sur les exigences linguistiques auprès des entreprises, que plus du tiers des employeurs avaient rejeté au moins une candidature parce que la personne n’avait pas les compétences suffisantes en français lors d’un dernier processus d’embauche.

On apprenait également en 2017 que près de la moitié des futurs enseignants québécois avaient échoué à leur premier essai à l’examen de français obligatoire pour l’obtention de leur brevet d’enseignement.

Peut-être est-il temps de reconnaître notre responsabilité collective et de faire des gestes en ce sens?

Cet enjeu de la qualité estprobablement plus crucial que n’importe quelle loi cherchant à interdire, à bloquer ou à restreindre notre accès à d’autres langues. Évidemment, il faut demeurer très vigilant et se donner les outils pour mieux protéger le français. Au cours des dernières décennies, les effets de la Charte de la langue française ont été indéniables, tant dans le monde du travail ou de l’affichage commercial que de la francisation des jeunes issus de l’immigration, les « enfants de la loi 101 ». Ces succès ont préservé l’utilisation de notre langue. Mais qu’en est-il de l’amélioration de sa qualité?

En cette ère où les communications n’ont plus de frontières, où les réseaux sociaux nous renvoient tous les jours l’image d’une langue française de moins en moins lisible et charcutée, et surtout où les opinions se polarisent et ne laissent plus de place à la nuance, que faut-il attendre?

Il n’est pas ici question de simples règles de grammaire et de structures de phrases déficientes, lesquelles peuvent être soutenues artificiellement par des logiciels de correction de texte. Il est aussi question de vocabulaire. Comment exprimer une opinion, un malaise, un traumatisme même, si l’on est dépourvu d’un vocabulaire suffisant? Cette lacune est aussi grave pour un jeune enfant qu’une personne aînée en situation de détresse.

Ironiquement, le français a longtemps été la langue de la diplomatie internationale, notamment grâce à son vocabulaire riche et rempli de nuances.

Cette semaine, nous entrons collectivement dans les Journées de la persévérance scolaire, alors qu’il faut trouver le moyen de nourrir l’intérêt de nos jeunes pour les études. Dans un mois, ce sera la Semaine de la francophonie.

Pourquoi ne pas profiter decette période pour envisager un signal fort, un signal collectif selon lequel on peut maintenant changer les choses? Par exemple, pourquoi ne pas entretenir et développer le goût de lire? N’est-ce pas le plus simple et le plus accessible des remèdes pour préserver une langue? Pour ma part, je nous encourage, notamment les employeurs du Québec, à joindre nos voix et à donner l’exemple. À l’instar du premier ministre récemment, qui a publiquement montré l’exemple à ce sujet, je souhaite à mon tour rappeler l’importance de se réserver du temps pour la lecture, même lorsque le temps fait défaut.

Ce n’est peut-être pas suffisant, mais, s’il est porté collectivement, un tel geste est certainement propre à améliorer les choses.

Yves Duteil, dans sa magnifique Langue de chez nous, nous rappelait dans son éloge de la langue française, qu’elle sait offrir « des trésors de richesses infinies, les mots qui nous manquaient pour pouvoir nous comprendre. Et la force qu’il faut pour vivre en harmonie ». N’est-ce pas à propos aujourd’hui?

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