Dans mon dernier billet, je suggérais qu’à eux seuls, les gouvernements et l’économie de marché ne peuvent assurer notre prospérité, ajoutant que la contribution de l’entreprise sociale est nécessaire à cette fin.
Alors, où est-ce que ça se trouve, des entrepreneurs sociaux? Comment est-ce qu’on stimule leur création?
L’émergence au Québec de plusieurs initiatives extraordinaires susceptibles d’accélérer le mouvement de l’entrepreneuriat social au Québec s’est manifesté au cours des dernières années : qu’il s’agisse de l’Esplanade
, le premier accélérateur et espace de travail collaboratif dédié à l’innovation sociale au Québec, de
Recode
, un programme de la fondation de la famille J.W. McConnell qui offre des possibilités d’innovation sociale et d’entrepreneuriat social aux étudiants des collèges et universités, ou de À Go on change le monde, qui accompagne des entrepreneurs sociaux en devenir dans l’idéation et le développement de leur idée d’entreprise sociale.
L’ensemble de ces initiatives constituent certes des mesures nécessaires qui enrichissent l’écosystème de l’entrepreneuriat social, mais force est de constater qu’elles présentent certaines limites.
Partant du postulat que le premier facteur de succès des entrepreneurs sociaux est la passion profonde pour la cause qu’ils défendent, il faut conclure que pour développer le plus grand nombre d’entrepreneurs sociaux, nous devons éveiller et cultiver ces passions vers un idéal de justice sociale et de respect de l’environnement. De telles passions se développent généralement à travers l’éducation reçue durant l’enfance et l’adolescence.
Or, les initiatives mentionnées précédemment ont essentiellement pour objectif de répondre à certains besoins d’entrepreneurs sociaux existants ou encore d’outiller sur le plan matériel ou professionnel des individus d’entrée de jeu intéressés à l’entrepreneuriat social dans le cadre de leur parcours postsecondaire ou professionnel. Qu’en est-il alors du besoin de développer à un jeune âge l’attitude propice à faire carrière dans le domaine? Et quels risques courons-nous à développer les aptitudes d’individus qui n’ont pas l’attitude requise? Donner les meilleurs outils à un entrepreneur social qui n’est pas réellement passionné, c’est comme donner les meilleurs patins à un hockeyeur qui ne sait pas patiner.
L’entrepreneuriat social, en tant que mouvement émergent, court le risque d’être dénaturé s’il n’est pas soutenu par une masse critique de gens véritablement animés par le changement social. Lara Galinsky et Linda Kay Klein, d’Echoing Green, un organisme qui soutient à travers le monde les entrepreneurs sociaux les plus prometteurs, soulignent bien le risque que le mouvement soit parasité par des organismes et institutions affirmant leur mission sociale sans la soutenir par des actions cohérentes: « Yet, purpose runs the risk of being drowned out by organizations and companies who claim to be purpose-driven, but don’t back up their promise with policies, programs and other actions. This has the potential to rob “purpose” of its power to drive people to use their time, talent and treasure to make the world a better place. In order for the burgeoning purpose field to reach its full potential, is important to keep social impact at its core.”
Ce risque est d’autant plus alarmant que de plus en plus de sociétés par actions sont reconnues, avec raison, pour leur vocation sociale, ce qui n’a pas été le cas traditionnellement. Mais quand est-ce que la cause sert vicieusement le retour financier? Le « pinkwashing » a permis à KFC (Kentucky fried chicken) de vendre des barils de poulets pour combattre le cancer, nous a-t-on dit! Le mouvement de l’entrepreneuriat social est exposé à un risque similaire.
Une façon de bâtir un mouvement plus solide est sans aucun doute, en complémentarité avec les initiatives existantes, de développer auprès des plus jeunes ce qu’on appelle l’ « action empathique ». Notre système d’éducation n’a pas seulement pour rôle de développer les habiletés cognitives des élèves, mais également les habiletés permettant d’en faire des individus socialement responsables. « Intelligence plus character, that is the goal of true education », disait Martin Luther King. Or, le parcours scolaire met peu d’accent sur les attitudes non cognitives essentielles à l’entrepreneuriat social.
Dans son ouvrage « A Pedagogy of Empathic Action as Informed by Social Entrepreneurs », le Dr Anita Nowak suggère que l’action empathique s’enseigne à travers trois piliers qui se complètent l’un l’autre :
- Premièrement, la pédagogie critique, qui vise à développer une pensée permettant de remettre en question le statu quo social et inspirer les élèves à transformer la société;
- Deuxièmement, la pédagogie du privilégié, qui vise à identifier les structures de pouvoir inhérentes aux privilèges respectifs des groupes composant notre société, à reconnaître la participation de chaque élève dans la perpétration des injustices résultant des privilèges et à les inspirer à œuvrer comme alliés dans la déconstruction de ces injustices;
- Troisièmement, l’éducation de la justice sociale, qui vise à éveiller une nouvelle conscience de manière à ce que les élèves soient amenés à reconnaître et honorer la valeur innée de tout humain sur la planète et œuvrent à protéger leurs droits et leur dignité;
Plusieurs auteurs affirment que l’éducation n’est jamais neutre. Il s’agit en effet toujours d’une façon de perpétuer le statu quo ou d’éveiller les consciences face à l’importance et aux possibilités d’améliorer notre société. En adoptant la seconde approche, le mouvement de l’entrepreneuriat social se verrait nettement propulsé, tant par le nombre d’entrepreneurs sociaux que par leur motivation à changer le monde.