Il ne faut pas lésiner sur les efforts qui doivent être consentis pour la pérennité de ce secteur névralgique pour l’économie canadienne et sa prospérité.
Lettre de Karl Blackburn, président et chef de la direction du CPQ, adressée à l’honorable Marc Garneau, ministre des Transports du Canada.
Monsieur le ministre,
L’aéronautique constitue un de ces piliers de l’économie du Québec et du Canada avec des centaines d’entreprises hautement spécialisées créant des milliers d’emplois bien rémunérés partout au pays. Ce secteur s’avère aussi un levier essentiel de développement économique régional. Dans un pays vaste comme le Canada, l’avion représente un moyen de transport essentiel pour le tourisme, le commerce, les affaires et aussi pour relier les collectivités isolées au reste du pays et au monde entier.
La crise sanitaire que nous traversons a profondément bouleversé notre économie et les fermetures de frontières et règles de quarantaine strictes imposées par les gouvernements ont affecté de façon plus particulière certains secteurs comme le tourisme, le voyage, le secteur aérien et les aéroports et l’aéronautique en général.
De plus, au-delà de cette situation actuelle particulièrement catastrophique, le modèle de type « utilisateurpayeur » imposé au transport aérien au Canada affecte grandement la compétitivité de l’industrie et celle de l’économie canadienne. Si aucun geste n’est posé par le gouvernement, la diminution drastique du trafic ne fera qu’exacerber cette problématique.
Les différentes charges et taxes imposées défavorisent clairement les aéroports canadiens et les compagnies aériennes, augmentent indûment le prix des billets et ont un impact négatif sur l’accessibilité. La problématique est particulièrement importante pour les marchés à faible volume.
Ces enjeux sont connus depuis longtemps. Plusieurs analyses ont été faites, entre autres, un rapport sénatorial déposé en 2012 qui avait proposé différentes pistes de solution prometteuses(1). Ces enjeux deviennent plus pressants dans le contexte actuel. Le gouvernement ne peut plus faire la sourde oreille, il devrait les adresser comme une des façons de relancer l’industrie à l’instar des gouvernements américains et européens qui ont proposé des programmes dédiés pour assurer la pérennité et la relance de ce secteur.
Parmi ces enjeux :
- Les loyers payables par les aéroports au gouvernement fédéral qui sont fonction des revenus bruts – environ 412 M$ (dont 38 M$ pour l’Aéroport Montréal-Trudeau) en 2019; cet enjeu arrive de loin en tête de liste. Bien que le gouvernement ait temporairement renoncé à percevoir ce loyer en raison de la crise, cette taxe- qui est unique au mondedevrait être abolie de façon permanente;
- Paiement en lieu de taxes municipales. Par exemple, l’aéroport de Montréal paie environ $50 M par an alors que les aéroports américains ne paient de taxes municipales;
- Les frais d’améliorations aéroportuaires- jusqu’à 40$ (plus taxes de vente) au Canada comparativement à $4,56 aux États-Unis;
- Finalement, la taxe d’accise fédérale sur le carburant d’avion, introduite dans le budget de 1985 et fixée alors à 2 cents le litre, et qui s’établit à 4 cents depuis 1987(2). Aux taxes fédérales s’ajoutent des taxes provinciales sur les carburants. Les taxes sur l’essence d’aviation varient de province en province : Au Québec, c’est 3 cents le litre; En Ontario, c’est 6,7 cents le litre, (sauf au nord de la province où c’est 2,7 cents le litre depuis le 1er janvier 2020); en Alberta la taxe est de 1,5 cents sur le litre. Il est intéressant de noter que le rapport sénatorial mentionnait que selon un témoin, « malgré la promesse de l’ancien ministre fédéral des Finances d’abolir cette taxe après l’introduction de la taxe sur les produits et services, l’industrie de l’aviation paye toujours une taxe d’accise de 100 millions de dollars chaque année »(3);
- Il ne faut pas oublier par ailleurs les droits pour la sûreté des passagers du transport aérien en sachant que pendant plusieurs années le gouvernement fédéral a perçu des droits supérieurs aux coûts de ACSTA, alors que d’autres pays subventionnent ces droits. Aussi, dans le contexte actuel, le transfert de ces services vers une nouvelle entité privatisée, sans soutien financier, pourrait avoir un impact important sur les coûts pour les passagers, alors que le retour du trafic au niveau de 2019 prendra des années;
- S’ajoutent également les redevances de services de NAVCANADA qui augmenteront de 30% en septembre, et ce, en pleine période de crise. Encore ici, d’autres gouvernements au monde subventionnent ces frais.
Face à la situation particulièrement difficile vécue par l’industrie, les gouvernements, et au premier chef le gouvernement fédéral, se doivent d’agir et améliorer la compétitivité de l’industrie en adoptant d’abord un programme d’appui financier aux transporteurs aériens pour leur permettre de passer à travers la crise actuelle, notamment au niveau de leur liquidité, et en revoyant les différents frais et taxes imposés aux transporteurs et passagers afin de permettre la relance de cette industrie stratégique pour l’économie du Québec.
En ce sens, même avant la pandémie, le Rapport d’examen de la loi sur les transports au Canada recommandait que « le gouvernement du Canada modifie la politique de l’utilisateur payeur pour le transport aérien afin d’améliorer sa compétitivité des coûts par rapport à celle des administrations semblables tout en assurant un financement continu et durable pour l’infrastructure et les activités (…) »(4).
Il ne faut pas lésiner sur les efforts qui doivent être consentis pour la pérennité de ce secteur névralgique pour l’économie canadienne et sa prospérité.
Veuillez agréer, Monsieur le ministre, l’expression de mes sentiments les meilleurs.
Karl Blackburn
Le président et chef de la direction
cc. Chrystia Freeland, ministre des Finances
Mélanie Joly, ministre du Développement économique et des Langues officielles
Navdeep Bains, ministre de l’Innovation, des Sciences et de l’Industrie
Notes
- Sénat du Canada, le Comité sénatorial permanent des transports et des communications : « L’avenir des déplacements aériens au Canada : poste de péage ou bougie d’allumage? », juin 2012.
- Ce taux est toujours en vigueur sauf pour les vols internationaux, qui sont exemptés en vertu d’un accord multilatéral.
- Sénat du Canada, le Comité sénatorial permanent des transports et des communications : « L’avenir des déplacements aériens au Canada : poste de péage ou bougie d’allumage? », juin 2012.
- Parcours : Brancher le système de transport du Canada au reste du monde – Tome 1, p. 192.