L’entrepreneurship pair à pair

La prospérité future du Québec passera par la solidarité de ses entrepreneurs.

Se lancer en affaires, on l’entend souvent, ce n’est pas facile et ça prend du courage. Ceci dit, plus un entrepreneur persévère, plus il franchit une par une les étapes lui permettant de bâtir son entreprise et d’avoir du succès.

Sur ce parcours, il fera des découvertes et apprendra des leçons uniques. Il apprendra à bâtir une équipe, à lever du financement, à maîtriser le marketing, à vendre à l’international ou même à licencier des coéquipiers en temps plus durs. Après quelques années, il cumulera un bagage de savoir propre au lancement et à la croissance d’entreprises.

Partager le savoir

L’entrepreneur aura dès lors deux choix vis-à-vis ce bagage : partager une partie de ce savoir avec ses pairs autour de lui, ou ne rien faire. Nous devons vraiment encourager nos entrepreneurs qui choisissent la première option.

Selon moi, l’entrepreneurship « pair à pair » est le moyen le plus puissant de développer un écosystème dynamique d’entrepreneurship au Québec dans les 10 prochaines années.

L’entrepreneurship « pair à pair », c’est tout simplement la décision de partager et de réinvestir dans la communauté autour de soi. C’est redonner une partie des acquis qui ont été reçus. C’est l’entraide, en fait.

Dans un éditorial récent dans La Presse, je suggérais qu’une nouvelle culture d’affaires émergeait présentement dans la scène entrepreneuriale québécoise, dont certains attributs étaient possiblement distincts des générations précédentes. Cette nouvelle culture est empreinte de 3 principes : l’action, la collaboration et l’entraide. Ce 3ème principe est particulièrement clé pour créer de la prospérité au Québec dans le futur.

S’il y a un parcours de carrière qui s’apprend mal sur les bancs d’école, c’est bien l’entrepreneurship. En fait, on devient vraiment seulement un entrepreneur après sa décision de se lancer, de prendre un risque et d’entreprendre un projet.

Les entrepreneurs d’abord

Selon moi, ce sont en fait les entrepreneurs qui sont les mieux placés pour aider les autres entrepreneurs.

Certes, les universités peuvent bien préparer les entrepreneurs avec des programmes de formation générale. Certes, le gouvernement offre via des organismes publics et régionaux des programmes bénéfiques qui aident les entrepreneurs à démarrer. Certes, il y a de plus en plus de cours et de contenu disponible sur Internet gratuitement pour apprendre les bases de l’entrepreneurship. Ceci dit, les vraies leçons et les meilleurs secrets pour accélérer les entrepreneurs en démarrage, ce sont les entrepreneurs d’expérience qui les possèdent.

L’investisseur légendaire de capital de risque Brad Feld, auteur de Startup Communities, mentionne dans son livre à cet effet que « tout écosystème doit être mené par ses entrepreneurs. Évidemment, le gouvernement, les grandes entreprises et les universités doivent aussi ensuite supporter ces efforts pour créer le cercle vertueux de croissance d’un écosystème startup ».

L’effeverscence du mentorat

De plus en plus d’initiatives ont adopté ce principe de l’entrepreneurship « pair à pair » au Québec.

On n’a qu’à regarder les 100+ entrepreneurs-mentors qui donnent de leur temps bénévolement pour soutenir les jeunes pousses de l’incubateur Founder Fuel, chapeauté par Real Ventures, ou encore les 50+ mentors qui appuient maintenant l’accélérateur Founder Institute Montreal, que je codirige avec Sergio Escobar. On l’observe aussi dans la volonté des entrepreneurs plus expérimentés à donner de leur temps dans le cadre d’activités ou de programmes de mentorat via des organisations comme le RéseauM, l’École d’Entrepreneurship de Beauce, Next 36, Startup Next, la JCCM et Défi Montréal, entre autres.

De plus, des fonds comme Real Ventures et iNovia Capital tentent de plus en plus de connecter et de mettre en réseau directement ensemble les entrepreneurs à la tête des entreprises dans leur portfolio à travers des événements et des plateformes virtuelles. Il y aussi des groupes « pair à pair » comme YPO et EO qui ont des chapitres à Montréal, qui peuvent être utiles pour des entrepreneurs avec des organisations plus établies ou à forte croissance.

Étendre le réseau d’échange

Tout cela est vraiment un excellent développement pour l’écosystème. Je pense cependant que l’on peut aller encore plus loin. Je pense que les entrepreneurs à tous les stades et l’ensemble de la communauté des affaires peuvent faire partie de ce mouvement d’entraide afin de soutenir nos jeunes entrepreneurs.

En 2011, j’ai aidé à cofonder le groupe Entrepreneurs Anonymes qui compte aujourd’hui plus de 450 entrepreneurs montréalais à tous les stades de croissance. La mission : briser l’isolement des jeunes entrepreneurs en démarrage. Depuis 3 ans, des groupes d’entre 25 et 50 entrepreneurs se rassemblent, chaque mois, pour échanger et partager entre eux dans une atmosphère décontractée. C’est, pour moi, un exemple très direct d’entrepreneurship « pair à pair », qui n’implique pas de relation de « mentorat » en tant que telle, mais plus une culture d’échange et d’entraide.

Lors de l’été 2014, j’ai lancé La Tournée des Entrepreneurs avec Christian Bélair, alors au RJCCQ, et Noah Redler de la Maison Notman. Ensemble, nous avons créé des cercles d’échanges « pair à pair » entre entrepreneurs autour du Québec, soit plus spécifiquement à Baie-Saint-Paul, Gaspé, Rouyn-Noranda et Lac-Mégantic.

L’idée : chaque entrepreneur partout au Québec, en ville ou en région, a une histoire à raconter qui peut bénéficier à d’autres entrepreneurs. L’entrepreneur web, par exemple, peut apprendre des leçons marketing du commerçant ayant pignon sur rue, et vice-versa.

Ces groupes d’échanges peuvent aider les jeunes entrepreneurs à surmonter des obstacles qui semblent insurmontables, et ce, en temps réel. Ceci dit, de tels groupes ne sont pas nécessaires au fonctionnement de l’entrepreneurship « pair à pair ». Le seul élément qui doit exister vraiment est la volonté de parfois « retourner l’appel » de nos pairs.

Les anges pairs

L’entrepreneurship « pair-à-pair » peut aussi passer par l’investissement direct, surtout selon un modèle ange.

AngesQuébec est probablement l’exemple le plus évident au Québec, avec son réseau de 100+ entrepreneurs à succès agissant comme ange pour soutenir financièrement des projets en démarrage au Québec. Un jeune entrepreneur, qui accepte un investissement d’Anges Québec, peut bénéficier des conseils d’un groupe d’entrepreneurs aguerris (généralement entre 5 et 15) prêts à partager des leçons apprises au fil du temps.

Certains autres entrepreneurs préfèrent faire des investissements de type ange en leur nom personnel. Des entrepreneurs comme Martin-Luc Archambault, Dan Robichaud, Magaly Charbonneau, Mike Cegelski, David Chamandy, Alexandre Taillefer et Austin Hill sont parmi les plus actifs depuis quelques années à Montréal, bien qu’il y en a des centaines d’autres qui agissent dans les coulisses. Ces entrepreneurs, par leurs conseils et leur capital, ont investi et aidé à développer des fleurons québécois comme Frank & Oak, qui emploie aujourd’hui des centaines de talents à son siège social dans le Mile-End. Un article récent de Techvibes parlait justement de cette « mafia » d’entrepreneurs actifs qui investissent aussi, et ce faisant, donnent un coup de pouce à d’autres entrepreneurs pairs.

C’est, d’ailleurs, dans cet esprit que nous avons mis sur pied Interaction Ventures, un microfonds d’investissement ange qui se veut une formule intermédiaire entre un grand groupe plus établi comme Anges Québec et un investissement ange à titre individuel. Avec la participation de 4 collègues entrepreneurs et le soutien de la firme de capital de risque iNovia Capital, nous avons mis sur pied un fonds qui pourra investir sélectivement dans d’autres entreprises en démarrage dans les années en venir. L’idée d’entraide « pair à pair » ou « pour des entrepreneurs par des entrepreneurs » est omniprésente dans la philosophie du groupe.

Les vertus de l’architecture « pair à pair »

Dans les années à venir, la clé de la réussite pour un jeune entrepreneur en démarrage sera, bien entendu, de travailler fort, mais, de plus en plus, aussi de bâtir un bon réseau de soutien. Celui-ci devra savoir s’entourer d’entrepreneurs pairs qui pourront l’aider à faire avancer son projet d’entreprise, que ce soit via du capital-ange, des relations formelles (mentorat) ou encore informelles (échanges).

C’est, avec la multiplication des collisions dans notre écosystème, que se produira la pollinisation, qui accélérera nos jeunes entreprises en démarrage.

L’entrepreneurship « pair à pair », plus que toute autre forme d’aide, permet de créer un véritable tissu entrepreneurial de nature relativement indestructible, une qualité reconnue, en général, aux systèmes avec une architecture « pair à pair » ou distribuée, dont notamment l’Internet.

Accélérer la prospérité

La prospérité se crée quand nos jeunes entrepreneurs ont le soutien pour réussir à faire croître leur projet d’entreprise. Et cela, ça commence, selon moi, avec la solidarité entre entrepreneurs et l’entrepreneurship « pair à pair ». Les entrepreneurs sont véritablement les agents les mieux placés dans l’écosystème pour réduire la friction dans le cheminement entrepreneurial.

Évidemment, l’entraide « pair à pair » est aussi un principe qui peut être étendu au-delà de l’écosystème entrepreneurial à la communauté d’affaires du Québec au sens plus large. Ceci dit, pour que cette-dernière fonctionne, il faut que tout le monde se lève et participe. Bref, ne demandez pas ce que votre réseau peut faire pour vous, demandez-vous ce que vous pouvez faire pour votre réseau.

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